Jardin secret (Secret garden), 2001 |

Jardin secret (Secret garden), 2001, Installation Vidéo, Couleur, sonore, Color/sound, Video loop projected in a dark room

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Jardin Secret (Secret garden)
Olesya Turkina

Conservatrice au Musée National Russe, St Petersbourg

Le « jardin secret » est un recoin à l’abris, un endroit d’oubli et de torpeur magique, réminiscence du futur et prévision du passé. Ici il n’y a aucune alternance de jour et de nuit – une lumière « noire » illumine uniformément l’espace entier, rythmée par les reflets des projections vidéo.

Il n’y a ici aucun endroit pour l’ordonnancement usuel des choses. Sur les branches de l’amandier en fleurs, au lieu des fruits, des écrans montrent l’artiste nue en lévitation au-dessus de l’eau qui passe. Le bruit d’une chute d’eau est mêlé aux rafales de vent. Plusieurs projections vidéo apparaissent parmi les fleurs artificielles. Aiyoung YUN appelle métaphoriquement son installation Jardin Secret un rêve. « Toute la nuit dans mes rêves je nage comme un poisson , je vole dans les nuages comme un oiseau… Mon âme monte avec le vent, sans savoir ce qu’elle rencontrera… et où trouver sens à la vie… Le « jardin » représente mes rêves et l’arbre, support des images, mon âme », dit-elle.

Le jardin secret est une métaphore poétique incarnée par Yun dans une installation multimédia. L’espace du « jardin secret » est rempli de « vrais » objets, d’images vidéo translucides, et de sons. Ces images, comme par exemple un personnage planant dans les airs, ou un marcheur, ont des significations multiples. « Plusieurs des images que j’utilise dans mes vidéos n’ont pas de signification concrète, elles me permettent de transmettre mes sentiments. La vidéo est pour cela un médium idéal ». En tout cas on peut dire que l’image du voyageur est liée à la représentation métaphorique de l’artiste dans « un voyage sans fin et sans but, quand nous ne savons pas où nous allons », dans lequel se reflète l’admiration de Yun pour la philosophie de Krishnamurti. La représentation de l’artiste elle-même, apparaissant de façon répétitive dans ses installations vidéo, symbolise la division entre Yun telle qu’elle vit dans le temps réel et Yun dans ses rêves, ses fantasmes, et ses souvenirs.
En parlant de son installation l’artiste se remémore le renommé Chuan Tzu, philosophe, qui, se réveillant soudainement, se demande s’il est Chuan Tzu qui a dormi et s’est vu dans un rêve en papillon ou un papillon qui rêve de Chuan Tzu. Des objets tangibles comme l’arbre et les fleurs, ramènent l’artiste « sur terre » dans le monde marériel de la logique et de la conscience. Les bruits naturels de l’eau et du vent symbolisent pour Yun le monde inconscient que l’on pourrait entrevoir en suivant « la voie royale du rêve ».

Les souvenirs et les rêves sont la matière première de l’artiste. Après avoir grandi à Séoul, Yun habite et travaille à Paris depuis plus de 10 ans, avec le sentiment d’errer dans un no-mans land intellectuel entre orient et occident. Parcourant ses installations multimédia enchanteresses le spectateur a le sentiment d’être un voyageur qui se trouve soudainement dans un énigmatique pays de rêve, où les choses changent d’endroit, où l’âme du jardin cultive l’âme du spectateur (jardin secret, 2001), où un enfant marche sans fin dans un paysage noyé de brouillard (Intersection, 2000).

Les installations de Yun sont « peuplées de songes dans lesquels les sensations d’étrangeté et d’ubiquité s’entrecroisent comme dans l’expérience du rêve, et traduisent le monde quotidien par voie subjective ». La frontière entre la nature réelle du monde et son caractère trompeur, entre la réalité le rêve, est matérialisée dans l’espace tridimensionnel d’une salle « obscure », où sculpture et vidéo performance, objets immobiles et images en mouvement, s’unissent. L’art vidéo est devenu un médium unique pour Yun, permettant d’incarner le moment du temps restitué. L’artiste a commencé à travailler avec la vidéo au milieu des années 1990, faisant du temps l’un des sujets de son travail. L’art vidéo est l’un des accomplissements les plus révolutionnaires du 20ème siècle, qui comme le cinéma, en son temps, a changé le rapport même à la réalité, donnant au spectateur l’occasion de percevoir les oeuvres d’art en « temps réel ».

Pour Yun la métaphore du temps est le fleuve poursuivant son chemin, ou un nuage dérivant dans le ciel, les cycles de la naissace et de la disparition. La vidéo lui a précisément permis d’incarner la dimention multiple du monde, la possibilité d’exister simultanément dans plusieurs espaces parallèles, en particulier dans l’espace du rêve et de l’imagination. La topographie de ses installations multimédia est le Jardin Secret des souvenirs, scrupuleusement reconstruit au moyen de projections vidéo, lasers, images tridimensionnelles, et sons, où chacun se sent un voyageur errant dans les profondeurs du temps restituées par l’artiste.